Aux enfants de la Commune. La Commune et les quartiers populaires
Partager la publication "Aux enfants de la Commune. La Commune et les quartiers populaires"
Aux enfants de la Commune
Des liens entre Commune et quartiers populaires
En mars 2021, La Commune de Paris aura eu lieu il y a 150 ans. Cet événement central dans l’histoire de la France contemporaine reste malheureusement trop méconnu. La Commune est multi fondatrice. Ses réalisations, ses rêves mais aussi sa répression ont dessiné des camps et des idées politiques, qui ont à leur tour forgé une partie du XXe et résonne encore dans les débats aujourd’hui.
De notre côté, nous souhaitons nous intéresser à ce qui pourrait résonner de La Commune dans les banlieues populaires. La Commune est peut-être, la révolution des Banlieues qui a été la plus loin. C’est peut-être même la seule. Celle qui a tant fait peur, qu’ensuite, l’État a tout fait pour empêcher que cela ne se reproduise.
Dans un Paris ravagé par l’Empire de Napoléon III et le siège prussien, la Commune de Paris a été la prise du pouvoir d’une partie du peuple de Paris, qui en était exclu et a mis en œuvre une politique de solidarité. Pour ne citer que quelques mesures, reprises de Louise Michel, dans sa Commune[1] : dès sa première séance le 28 mars 1871, elle proclame le rétablissement de tous les services publics, elle suspend les loyers, elle supprime la vente des objets du mont de piété (où les parisiens mettaient en gage leurs objets) mais elle permet aussi la mise en place de pensions alimentaires pour les femmes et enfants de combattants mariée, légitime ou non, tout comme pour les femmes ayant demandé le divorce. La Commune encadre aussi l’application de la justice en interdisant les perquisitions sans mandat. Elle permet la récupération des ateliers par les travailleurs eux-mêmes. Quant au pouvoir politique, l’idée d’une fédération de Communes est au centre de la proclamation de la Commune à Paris, mais aussi dans d’autres cités françaises.
C’est un résumé succinct, mais nécessaire, car nous constatons très souvent quand nous présentons notre idée de création que La Commune de Paris est un événement méconnu, alors nous demande : La Commune en banlieue, mais pourquoi ? La Commune aujourd’hui, mais pourquoi ? Sans revenir sur les détails de cette histoire, la création le fera, deux choses peuvent être avancées : sa réalité est mise à distance par son nom même, ces deux mots dont le sens s’est modifié en 150 ans : « Commune » et « Paris ».
Le pouvoir aux « Communes »
La Commune de Paris est un événement qui permet de saisir la question du lien entre l’État et les Communes, la répartition des rôles et des pouvoirs. Les aspirations des Communards et les débats entre Républicains de cette période sont dès lors particulièrement foisonnants et riches.
Ce que réclament les Parisiens quand ils prennent l’hôtel de ville en mars 1871, c’est un pouvoir communal, qui permettrait l’existence d’un pouvoir non centralisé. Si elles ont été très éphémères, les autres Communes (Lyon, Narbonne, Marseille, Le Creusot) ne sont pas des copies de Paris. Comme Paris, elles revendiquent leur « autonomie ». Le 19 avril, L’assemblée de la Commune vote un texte dans lequel est écrit que :
« L’autonomie absolue de la Commune étendue à toutes localités de France et assurant à chacun l’intégralité de ses droits et à tout Français, le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes, comme homme, citoyen et producteur. L’autonomie de la Commune n’aura pour limites que le droit d’autonomie égal pour toutes les autres communes adhérentes au contrat, dont l’association doit assurer l’unité française.[2] »
La Commune proposait une forme démocratique fondée sur les Communes et non sur un État centralisé. Il y a à discuter autour de cela quand on sait à quel point l’égalité ne règne pas en maître entre les territoires du pays. L’État n’est pas le garant d’une égalité territoriale.
Dans la Commune de Paris, se joue aussi le rapport conflictuel entre le centre et ses périphéries. Il faut rappeler que les arrondissements du XIIIe au XXe viennent à peine d’être intégrés à la ville de Paris. C’est en 1860 que Paris annexe les communes qui l’entourent, Grenelle, Vaugirard, La Villette, Auteuil, Charonne, Bercy, Montmartre, Les Batignolles ou Belleville… seront désormais des quartiers parisiens.
Des nouveaux arrondissements, la composition est très différente, mais La Commune de Paris aura son cœur dans les ex-communes les plus pauvres et les plus prolétaires comme Montmartre où tout commence le 18 mars, Charonne et Belleville où auront lieu les derniers combats du 27 et 28 mai. Finalement cette Commune de Paris est une révolte de ces anciennes communes disparues entre elles : le déjà très chic XVI s’opposant farouchement à l’insurrection, les arrondissements du nord et de l’est en étant les fiers meneurs. Rappelons-nous la lecture qu’en fit Karl Marx, celle d’une guerre civile au sens de guerre des classes sociales en France.
« Ici, c’est Paris ? »
Si la lecture autour de la notion de Commune doit être travaillée c’est parce que le Paris de 1871 n’est pas le Paris de 2020. Parce que ce Paris de 1871 est un Paris de résistance, d’ouvriers, de pauvres, de vauriens, d’exclus, d’étrangers, c’est un Paris des Bans, c’est un Paris dont la banlieue est à l’intérieur.
On pourrait imaginer la surprise des Parisiens du XIX qui s’y baladeraient aujourd’hui. Leurs traces les mèneraient probablement vers la proche banlieue nord et est, dense, aux immeubles décrépis et au peuple grouillant. Je me suis souvent demandée quand je traversais Paris avec mes grands-parents puis avec mon père, eux qui l’avaient connu dans l’entre-guerre puis dans l’après-guerre s’ils voyaient ce que je voyais.
Ce n’est pas un hasard si la tradition communiste et dans une moindre mesure socialiste a porté la mémoire de la Commune dans les villes qu’elle a dirigé, c’est parce que les Communistes de l’après-guerre ont pris avec eux ce qui appartenait à leur classe sociale et leur histoire : La Commune de Paris.
Les signes en sont multiples. D’abord dans les choix des noms qui furent donnés aux rues et aux établissements publics : Jules Vallès, Eugène Varlin, Jean-Baptiste Clément, Auguste Blanqui, Charles Delescluze, Eugène Pottier[3], Louise Michel[4]… sont autant de noms qui apparaissent ici ou là. Quand j’ai commencé à travailler sur La Commune, j’ai tout de suite pensé au gymnase Varlin[5] où j’ai pratiqué la gymnastique et à la cité scolaire du même nom. En vérifiant la ville de Pierrefitte sur Seine où j’ai grandi comporte aussi une impasse Eugène Varlin, des rues Auguste Blanqui[6], Charles Delescluze[7] et Jean-Baptiste Clément[8] ou encore une rue Jules Vallès[9]. Sans compter les rues Pierre De Geyter et Séverine, qui s’ils n’ont pas connu la Commune en furent parmi les plus directs héritiers, le premier composant la musique de l’Internationale, la deuxième travaillant avec Jules Vallès en exil. Pour une petite ville de 9km² et 30 000 habitant-e-s, c’est significatif.
Autre origine, loin de Paris, Martigues où un boulevard Louise Michel côtoie une avenue Jules Vallès, une rue Eugène Varlin, des stations de bus Eugène Pottier[10] ainsi qu’une rue de la Commune. Une rue est aussi dédiée à Gaston Crémieux, qui mourut durant la Commune de Marseille.
On peut aussi penser aux archives colossales qu’accueillent Saint-Denis au musée municipal ou Montreuil via le musée de l’histoire vivante.
Filiations
Mais La Commune n’est pas qu’une histoire de mémoire. Ce que La Commune de Paris n’a pas eu le temps de réaliser, les municipalités des banlieues de l’après-guerre le mettront en branle : le développement de services publics municipaux pour intervenir là où l’État central ne le fit pas, qu’on pense aux centres de santé municipaux, aux maisons du peuple à vocation culturelle et d’éducation, aux maisons du droit…
Une autre filiation est aussi intéressante, celle des migrations intérieures comme extérieures. Cette commune est aussi l’enfant de l’exode rural en train de se faire et la lutte pour conserver un Paris des Parisiens contre les propriétaires et les profiteurs. La Commune de Paris a aussi promu l’inclusion, l’élection et le vote des étrangers. Elle a considéré comme sien les immigrés, qu’on pense à celui qui fut général Jarosław Dombrowski ou Léo Fränkel, élu de la Commune ou à Elisabeth Dmitrieff, russe émigrée qui combattit aux côtés de Louise Michel et Nathalie Lemel[11]. Elle a été un lieu d’accueil formidable de tous les étranger-e-s présent-e-s à Paris à cette époque.
C’est pourquoi nous pensons que les 150 ans de La Commune doivent prendre place largement dans les communes populaires de banlieue et d’ailleurs. Elle constitue une entrée passionnante pour mettre en miroir notre société et nos quartiers. Ne laissons personne la mettre en bouteille et saisissons-nous de ce qui constitue notre héritage, faisons-le rencontrer nos autres héritages et confrontons notre présent aux rêves de ces ancêtres pour mieux irriguer et renforcer les nôtres.
[1][1] Cf. Louise Michel, La Commune, La Découverte, rééd. 2015, p. 204 -205.
[2] Jacques Rougerie, Paris Libre, 1871, Seuil, 2004, p. 154.
[3] Elus au Conseil de la Commune de Paris.
[4] L.M est une institutrice, militante de la Commune, déjà célèbre à l’époque. Elle fut ambulancière mais prit aussi les armes. Déportée, elle revient en héroïne en 1880 après l’amnistie. Elle laisse derrière elle de nombreux écrits.
[5] Eugène Varlin est un ouvrier relieur, membre de l’ Association Internationale des Travailleurs. Elu pendant la Commune, il s’occupe des finances. Il est fusillé le lendemain des derniers combats sur la butte Montmartre.
[6] A.B est un révolutionnaire infatigable ayant traversé le siècle. En prison pendant la Commune, qu’il a pourtant appelé de ses vœux, il n’en demeure pas moins que ses partisans, les blanquistes, seront au cœur de celle-ci.
[7] Figure du mouvement de 1848, C.D est déjà élu de Paris quand la Commune est proclamée. Elu sous celle-ci, il prend en charge la question militaire. Il meurt les armes à la main sur une barricade.
[8] Célèbre pour avoir écrit Le temps des cerises, JBC est élu pendant la Commune où il siège à la commission des services publics puis à celle de l’enseignement.
[9] Journaliste, il fut l’une des voix de la Commune. Il commença à la commission sur l’enseignement avant de passer à celle des Relations extérieures.
[10] Membre de l’internationale, il siégea à la commission des services publics mais participa aussi à la Fédération des Artistes durant la Commune.
[11] Membre de l’Association Internationale des Travailleurs, ouvrière relieuse, Nathalie Lemel organisa, pendant la Commune, avec Elisabeth Dmitrieff l’Union des femmes pour la défense de Paris. Elle soigna les blessés et prit les armes.
Photo : avenue Emile Zola, Pierrefitte-sur-Seine. En fond, on aperçoit les Archives Nationales. ©A.C