Pastille n°1 : Et si nous chantions le temps des Cerises ?
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Mymytchell : tu te mets au piano toi ?
Anouk : Oui, Mymytchell, je voudrais apprendre à jouer Le temps des Cerises pour les 150 ans de la Commune. Mars 2021, j’ai un peu de temps devant moi.
Mymytchell : Ah, le temps des cerises, c’est vrai qu’elle est belle cette chanson. D’ailleurs on n’en compte plus les interprètes de tout genre, dans toutes les tonalités possibles : Cora Vaucaire, Mouloudji, Suzy Delaire…
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol, et merle moqueur Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux, du soleil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur !
Nana Mouskouri, Leny Escudero, Renaud, Patrick Br….
Anouk : je ne suis pas sûre de connaître toutes ces chanteuses, moi, j’ai un faible pour la version de Juliette Greco :
Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l’on s’en va deux, cueillir en rêvant des pendants d’oreilles…
Cerises d’amour aux roses pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang…
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant !
Anouk : Mais alors moi qu’est-ce que je galère avec les bémols !
Mymytchell : Tu n’aimes pas les bémols ! Tu sais que rien ne t’oblige à en mettre pour une chanson !
Anouk ; Si, cette satané partition ! J’ai arrêté le solfège moi, beurk!
Mymytchell : Une partition pour une chanson, c’est un choix d’écriture (à moins que ce soit l’original)! Si tu veux, en mettant ces bémols, elle t’oblige à chanter de cette manière, à une certaine « hauteur de voix. » Si tu veux les enlever, tu fais ce qu’on appelle un « changement de tonalité », c’est à dire que tu changes les notes mais tu gardes le même écart entre les notes.. Je te montre au piano. Entre Mib et Lab c’est le même écart qu’entre do et fa. Si je joue, « j’entends » le même air pourtant ça ne pourrait pas se superposer. Donc attention, on ne peut pas chanter ensemble à des tonalités différentes !
Anouk : Je crois comprendre, mais alors tout à l’heure, Mouloudji et Cora Vaucaire n’avait pas la même tonalité et pourtant ça passait bien.
Mymytchell : Si eux chantent dans la même tonalité, mais l’une plus aigü que l’autre. C’est encore autre chose, que l’on fait très souvent. Ce qu’on appelle passer « à l’octave ». Une octave c’est un écart qui te fait recommencer avec les mêmes notes. Pourquoi ? Do re mi fa sol la si do. La 8e note c’est la même ! Beaucoup de gens changent les tonalités ou passent à l’octave pour adapter à leur voix – leur téciture on appelle ça – de manière intuitive, et ne se l’expliquent pas ! Et toi laquelle est adaptée à ta voix ?
Cerises d’amour aux roses pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang…
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant !
Mymytchell : Mais sais-tu que cette chanson n’a jamais été chantée pendant la commune ? Le poème a été écrit par Jean-Baptiste Clément lors d’un exil politique en 1867 vers les Flandres, qui fut communard mais c’est un certain Antoine Renard, chanteur lyrique de son métier, qui le mit en musique après pour ses propres besoins commerciaux.
Anouk : Tu me fais une blague ? Tout le monde l’associe à la commune cette chanson !
Mymytchell : Oui, et dans un sens tant mieux ! Il n’y a pas mille références à la commune ! En l’occurrence, il y a un lien mais en revanche aucune trace ne semble attester qu’elle était particulièrement chantée. Oui, et il y a bien un lien mais en revanche aucune trace ne semble attester qu’elle était particulièrement chantée, donc avec un autre air.Le premier lien c’est que Jean Baptiste Clément était un acteur important de la Commune. C’était un militant et un chanteur, un chanteur militant ou un militant chanteur. Dès le siège de Paris, début septembre 1870, il s’engage dans un bataillon de fédérés, cette armée populaire. Il se présente aux élections de la Commune et est élu pour le Xe arrondissement. Il fait partie de la commission des Services Publics, puis celle des Subsistances, qui assure que Paris puisse être nourri malgré l’encerclement de Versailles et enfin la commission de l’enseignement. Il luttera sur les barricades jusqu’au bout.
Anouk : C’est donc un artiste qui avait les pieds dans la glaise. Mais par ailleurs, j’ai lu cette dédicace de lui : « À la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871. » Il s’agit bien de Louise Michel ? Je lis justement ses mémoires sur sa participation à la Commune.
Mymytchell : Non il faut lire tout le recueil où il précise : « Nous sûmes seulement qu’elle s’appelait Louise et qu’elle était ouvrière. N’était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ? »
Anouk : Tu as raison, Louise Michel le raconte : « Au moment où vont partir leurs derniers coups, une jeune fille venant de la barricade de la rue Saint-Maur arrive, leur offrant ses services : ils voulaient l’éloigner de cet endroit de mort, elle resta malgré eux. Quelques instants après, la barricade jetant en une formidable explosion tout ce qui lui restait de mitraille mourut dans cette décharge énorme, […]; à l’ambulancière de la dernière barricade et de la dernière heure, J.-B. Clément dédia longtemps après la chanson des cerises. Personne ne la revit. […] La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus. »
Anouk : « La chanson des cerises », c’est beau. Mais alors, c’est seulement parce qu’il a participé à la Commune que le Temps des Cerises est associé à cette révolution ?
Mymytchell : La deuxième raison c’est qu’il a lui même créé un lien puisqu’il la dédie finalement aux combattantes de la commune dans son recueil. Mais je pense qu’il y a des raisons plus poétiques, des liens qui se font sans qu’on les veuille. Et le texte a des mystères, ça favorise ses reprises.
Quand vous en serez au temps des cerises,
Si vous avez peur des chagrins d’amour, Évitez les belles !
Moi qui ne crains pas les peines cruelles,
Je ne vivrai point sans souffrir un jour…
Quand vous en serez au temps des cerises,
Vous aurez aussi des peines d’amour !
Mymytchell : Ce qui lui donne son caractère éternel, je ne sais pas si ce sont les sujets ou sa poésie simple et intemporelle. On pourrait croire qu’elle a été écrite pour la fin d’une guerre ou en ce moment en temps de crise de COVID 19. « Quand nous en serons au temps des cerises ? » Combien sommes-nous à attendre les cerises de l’après-confinement ? on touche là au dilemme que tout auteur rencontre quand il s‘agit d’écrire, à quel point se rattacher aux événements ? Étonnamment déjà du vivant de son auteur, la chanson qui ne parlait pas de La Commune, a semblé en parler. Les cerises apparaissent en Mai, ce qui correspond à la fin de l’expérience de la Commune.
Anouk : Il parle de plaie ouverte, on pourrait croire qu’il fait allusion à la Semaine Sanglante où on parle en milliers de Parisiens qui furent tués par les Versaillais entre le 21 et le 28 mai.
Mymytchell : exactement, tu vois, tu te prends au jeu. Il parle d’un temps assez court et la Commune n’a duré que 72 jours, soit un peu plus de 2 mois. Et on peut s’amuser longtemps comme ça à surinterpréter la chanson.
Anouk : C’est drôle, parce que je me rappelle que Joan Baez l’a beaucoup interprétée récemment. Tu sais cette chanteuse étasunienne qui lutta contre la guerre du Vietnam, la ségrégation et pour l’égalité des droits…
Mymytchell : oui on l’a vu ensemble à la fête de l’huma, sous cette pluie torrentielle pas très temps des cerises
Anouk : Non elle ne l’a pas chanté, elle a chanté Le Déserteur de Boris Vian. C’est dans son dernier tour de chant qu’elle a ajouté Le Temps des Cerises en 2018. Elle la chante un papier les paroles sous les yeux, un papier frêle à la main. Et j’ai eu l’impression qu’on entendait 50 ans de luttes dans sa voix. Mais je me suis dit justement “Pourquoi cette chanson ? A quoi pense Joan Baez quand elle la chante ?”
Mymytchell : Et toi, à quoi penses-tu quand tu la chantes ?
J’aimerai toujours le temps des cerises :
C’est de ce temps-là que je garde au cœur une plaie ouverte !
Et dame Fortune, en m’étant offerte,
Ne pourra jamais fermer ma douleur…
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur !
Sur une idée et écriture d’Anouk Colombani sauf leçon de solfège
avec Anouk Colombani, Mymytchell, Clémence Fourton (Voix de Jean-Baptiste Clément), Imen Mellaz (Voix de Louise Michel)
Montage et Mixage : Léa Noilhan
Au Piano : Mymytchell, sauf les 1ères notes de l’Internationale par A. Colombani
Versions Le temps des Cerises : Cora Vaucaire, Mouloudji, Suzy Delaire, Juliette Greco, Yves Montand, Joan Baez
Extrait Audio de La commune de Peter Watkins