1828 – 2020 : A la recherche des blanchisseuses de Chaillot
A la recherche des blanchisseuses de Chaillot
C’est en lisant un article sur la dette du syndicalisme vis-à-vis des luttes des femmes que je découvre l’existence de grèves des Blanchisseuses de Chaillot de 1828. Il s’agit bien de grèves au pluriel. Je me dis que ces grèves doivent être connues et que je suis passée à côté. J’effectue une simple recherche sur google. La seule occurrence similaire renvoie à une chronologie proposée par Yannick Ripa, une historienne dans un ouvrage sur les luttes de femmes. Je n’ai pas le livre et je suis confinée, je dois faire avec ce que j’ai sous la main et les miracles ou pas d’internet.
Je cherche donc ce qu’est Chaillot, je ne connais que le palais. Mais il y a bien un lien, Chaillot renvoie à un quartier de Paris, ancienne ville absorbée dans les années 1860 à un Paris en voie d’agrandissement. Mais aucune grève de blanchisseuse ne vient pour cette entrée.
Je m’évertue à diverses recherches pas trop exubérantes. J’essaie blanchisseuse dans la presse de masse d’époque, notamment le Figaro mais si blanchisseuse apparait, c’est souvent pour parler d’histoire vaudevillesque, parfois d’eaux sales, mais pas de grève. J’apprends tout de même que « Monsieur Montgolfier de Beaulieu vient d’inventer un papier-linge, destiné à remplacer les tissus de lin et de coton. Les Blanchisseuses vont jeter les hauts cris. » On est le 31 octobre 1828, je suis bien ravie de l’apprendre mais est-on avant ou après la grève de Chaillot ? Si Yannick Ripa en parle, c’est que cette grève existe, mais elle est invisible, et je ne connais pas Yannick Ripa pour lui poser la question.
Je circonscris en me disant que peut-être dans la presse ouvrière je peux trouver quelque chose. En l’occurrence, Gallica – le serveur de la bibliothèque nationale – me donne un lien qui pourrait m’aider : La grève des Femmes d’un certain George Vautier. Le livre date de 1877. Il est intriguant mais c’est une suite de nouvelles, donc rien sur nos blanchisseuses. Par ailleurs, George Vautier est peu référencé lui-même. Ai-je du temps à passer à découvrir qui est cet homme ? Non, je repars donc sur Gallica fournit aussi une photo sur une grève dans une blanchisserie, mais il s’agit d’hommes et on est en 36. Cela signifie-t-il que le métier se masculine et par quel biais ? Sa mécanisation peut-être. J’ai un indice à ce sujet quand je suis aussi renvoyée sur le Libertaire de 1924, où à la 3eme page, je découvre une grève en cours des ouvriers et ouvrières des blanchisseries de Chaville.
https://www.retronews.fr/journal/le-libertaire/31-janvier-1924/1835/3535373/4
La présence du terme d’ouvrier me laisse penser qu’on assiste effectivement à une masculinisation partielle du métier. Après tout, nos teinturiers actuels sont souvent des hommes et qu’on pense aux blanchisseurs du Far West, souvent des hommes d’origine chinoise. Ou tout ça n’a aucun rapport ? Cela Chaville c’est dans les hauts-de-seine, pas loin donc du quartier de Chaillot (actuel XVIe)… Revenons à mes blanchisseuses de 28.
J’attaque la presse ouvrière, par le mot « grève », j’ai peut-être une chance. Il me semble me rapprocher de ma question. Dans Le Rappel du 8 mai 1870, on célèbre une certaine Amélie Dumesnil.
« Plus de 2000 personnes ont accompagné hier au cimetière de Puteaux une jeune morte de vingt-trois ans, Amélie Dumesnil, blanchisseuse, dont la trop courte existence n’a pas été inutile aux droits du travail et de la libre pensée.
C’est elle qui avait pris, il y a quelques mois, l’initiative de la grève des blanchisseuses, grève dont le résultat fut de faire augmenter de 50 centimes le salaire journalier.
Mlle Dumesnil était un poète populaire, et on chante ses vers dans plus d’un atelier.
Malgré les insistances de sœurs de Puteaux, elle est restée fidèle à ses principes d’indépendance religieuse et elle a voulu être enterrée civilement. »
Il me semble logique de chercher qui est cette Amélie Dumesnil, mais elle ne semble pas référencée facilement non plus. Quand au journal Le Rappel, il n’avait pas parlé d’elle auparavant et il ne pourra me donner aucune indication sur 1828 puisqu’il n’existait pas. D’obédience républicaine, il est en effet créé en 1869. Par contre, on peut noter la récurrence de grèves de blanchisseuse : 1828, 1869 ou 1870, 1924 à ou près de Paris. Et on sait qu’à cette période la grève est liée au salaire. Était-ce le cas en 1828 ? Quand j’aurais le temps, je chercherai à quoi correspond 50cts et aussi si la prose de Dumesnil existe quelque part.
D’une grève de blanchisseuses, il est aussi question dans L’Ouest éclair en 1905 (7 juillet) dans un petit article sur les risques de grève générale. De son côté, Le Journal mentionne des réunions de blanchisseuses à la Bourse du travail de Paris en salle des grèves en 1905. 1828, 1869_1870, 1905, 1924.
Je découvre au passage qu’un film perdu des frères Méliès s’intitule Les Blanchisseuses. Aussi perdu que le métier, son histoire et ses luttes donc…
Surprise, en faisant une recherche sur le film. Je tombe sur un article de journal intitulé de 1898 « La grève des blanchisseuses. Je me mets quelques secondes à comprendre que c’est un journal satirique, en tapant son nom la lanterne, j’ai confirmation, qu’il s’agit d’un journal fondé par Henri Rochefort, qui participa à la Commune, dont la publication se poursuit jusqu’en 1923. L’article mime une discussion entre blanchisseuse qui font des jeux de mots avec leurs outils de travail : fer…. [à reproduire peut-être]
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7502569z/f1.item.r=Gr%C3%A8ve%20blanchisseuse.zoom
J’hésite un moment, Chaillot peut-il désigner autre chose que le quartier de Paris ? Un thésard nommé Léo entre dans la salle, je me dis désespérée, il me répond : « Mon directeur de thèse regarde souvent sur Google Livres ». Je fais le test et trouve une nouvelle référence : Le mouvement social de 1978. Mais je ne peux rien lire sur Google Livre, je sais que la référence apparait en page 133, rien de plus. C’est grâce à un aperçu sur Jstor, que je vois qu’il s’agit en fait d’une autre chronologie, sans plus de précisions. En revanche, à l’année 1848, je lis que des coopératives de « couturières, lingères, blanchisseuses, voire prostituées » ont participé au mouvement. Il est aussi fait mention du journal La voix des femmes.
En retournant sur Gallica, je tente ma chance et constate que Le mouvement social y est archivé. Octobre 1878, j’ai le numéro complet. Se confirme que mes blanchisseuses ne sont que dans la chronologie. Par ailleurs, les blanchisseuses sont globalement peu présentes dans ce numéro qui porte sur les travaux de femmes. La chronologie fait mention de deux autres grèves de blanchisseuse : celle de Meudon en 1880 et celle de Chaville en 1911 – de nouveau. Cette relative absence des blanchisseuses dans un tel ouvrage confirme mon intuition sur l’intérêt réduit pour cette profession. Le fait qu’aucune explicitation autour de ces grèves existe enfonce le clou. Elles sont là sans être là. Notre liste s’allonge : 1828, 1848, 1869_1870, 1880, 1905, 1911, 1924
Je tente autre chose, je demande au moteur de recherche le mot « Blanchisseuse » dans Le Mouvement social. Mais rien de conséquent n’en ressort. Aucun article particulier. Cependant, j’apprends à ma grande surprise, qu’il existe une chambre syndicale des blanchisseurs, où les femmes sont admises sans droit de parole. Je m’étonne car c’est bien la première fois que je lis que les blanchisseurs seraient plus nombreux que les blanchisseuses. Il y a là un mystère. Ma recherche m’oriente alors sur un numéro qui m’intéresse qui parle des « métiers de femme ». Un des articles de Zancarellini-Fournel a l’avantage de fournir un passage entier sur les blanchisseuses, à Saint-Etienne, certes et plus au XXe, mais bon, on avance un peu.
Mais soudain, mon regard tombe sur les notes de bas de pages. Deux notes. La première signale un article de Michelle Perrot, « Femmes au lavoir », Sorcières, Janvier 1980. Je ne connais pas cette revue, mais je connais Michelle Perrot, c’est par son livre Le Silence des femmes, que j’ai commencé ma recherche sur les blanchisseuses, mais elles en étaient absentes. La deuxième note, indique : m. Segalen et j. Chamarat, « la rosière et la miss : les reines des fêtes populaires », l’histoire, février 1983, p. 44-55. Je ne sais pas qui sont ces gens, cependant, j’ai déjà lu sur la fête des blanchisseuses à la Mi-Carême, et ça m’intéresse carrément.
Je dois trancher, malgré mon envie furieuse de voir ce qui se dit sur la fête des blanchisseuses je choisis Perrot. Je la choisis car il me semble que j’ai plus de chances qu’elle me parle de grève. Soucis : cette revue « Sorcière » n’est pas en ligne. J’apprends qu’il s’agit d’une revue féministe avec 24 numéros, une thématique par numéro. Tout ça, est très intéressant mais je n’ai pas accès à la revue. Je fouille sur CAIRN, sur Jstos, sur Gallica, sur Persée… Et je tombe sur d’autres articles de Perrot, mais jamais celui-là. Il est beaucoup cité mais il n’est pas en ligne. Désespérée, je furette. Je trouve quelques mentions liées à mon thème d’abord dans son article Femmes et machines au XIXe. Elle y critique la théorie selon laquelle la machine aurait libéré la femme et écrit que : « Le lavage du linge, première opération domestique à être rationalisée, se fait dans de grandes buanderies modernes qui peu à peu se substituent aux anciens lavoirs, lieux essentiels de sociabilité féminine ainsi dissous. » renvoyant alors à son article. Argh. J’entame dès lors la lecture de l’article « Le Genre dans la ville », pensant que peut-être la question des blanchisseuses peut y être traitée.
Bingo. Un long passage parle du lavoir, que nous avons reproduit dans un article que nous appelons la Sororité des blanchisseuses.
L’extrait parle de la solidarité entre les blanchisseuses au lavoir, mais aussi la récupération par les hommes de cet espace et du métier avec l’arrivée des lavoirs mécanisés. Ce qui fait peut-être le lien avec notre découvert plus haut de l’existence de blanchisseur. Question de période… Mais toutes ces affaires quoique passionnantes ne nous disent rien de 1828 et disent peu des grèves et des luttes des blanchisseuses.
Je découvre tout de même au passage que Zancarellini-Fournel a écrit un article entier sur les blanchisseuses de Saint-Etienne. https://books.openedition.org/pur/90597#bodyftn7
C’est assez passionnant, mais l’article travaille la notion de genre et son bouleversement dans le cadre de fête carnavalesque, la fameuse fête des blanchisseuses de la mi-carême que j’ai croisé déjà via son premier article, qui m’intéresse mais qui ne dit rien des grèves.
Malgré toutes ces découvertes, j’ai un goût d’échec. Je commence à craquer, alors je repars une dernière fois des mots clés dans Openedition. Et allez savoir pourquoi apparait soudainement un article intitulé « Blanchisseuses du propre, blanchisseurs du pur. Les mutations genrées de l’art du linge à l’âge des révolutions textiles et chimiques (1750-1820) ». J’ai peut-être déjà vu cet article, mais en l’occurrence son titre et les dates qu’il donne me laisse penser que quelque chose pourrait s’y jouer. Chaillot n’y est pas, la grève non plus. Mais il y a autre chose, il y a l’histoire des blanchisseries dans Paris et leur mécanisation. Et presqu’à la fin, il est mentionné qu’à Paris :
« l’emploi des produits chlorés rencontre une forte résistance dans la société et, en particulier avant 1830, de la part des blanchisseuses. »
Est-ce pour cette raison que nos blanchisseuses de Chaillot ont lutté ? Ce sont-elles opposées à des produits chimiques dangereux et polluants ? L’article parle de luttes à peine esquissées par les historiens et mentionne des références anglaises. Il faut dire que l’article est parti d’un dossier sur genre et environnement. Ce n’est pas là qu’on s’attendait à trouver nos blanchisseuses. Il est aussi précisé que ces conflits apparaissent dans les archives parisiennes. C’est vaste et flou… Fin de la piste.
1828, 1848, 1869_1870, 1880, 1905, 1911, 1924.
Des affaires de mécanisation, de produits chimiques, de rapports de pouvoir avec les hommes quant au métier, de rapport aux normes aussi…
Une corporation puis une chambre syndicale.
Bon ben demain on continue.
A.C