1871 – Léontine Suetens, une blanchisseuse devant le 4e conseil de guerre

Portrait de Suétens Léontine Eugénie (1846-?), cantinière (blanchisseuse) au 135ème bataillon, pris à la prison de Satory à Versailles. Membre de la Commune de Paris en 1871. Photographie d’Eugène Appert, Musée Carnavalet.

En poursuivant nos recherches sur nos blanchisseuses, nous rencontrons Léontine Suetens. Ca nous revient. On la connait depuis longtemps en fait cette blanchisseuse. On la connait grâce à Gérard qui a eu la gentillesse de nous prêter le livre Histoire des femmes dans la Commune de Paris aux éditions Dittmar. Elle est émouvante Léontine, c’est notre premier visage de blanchisseuse. Elle est bien coiffée sur la photo et plutôt apprêtée. On devine que c’est une femme forte même si elle porte un haut qui ne dessine pas ses formes.

Léontine trône en page 57 du livre au travers d’une photo d’un photographe de l’époque nommé Eugène Appert. On apprend qu’elle a 25 ans, qu’elle est blanchisseuse et qu’elle a été cantinière au 135e bataillon. Si elle est là c’est qu’elle a été déportée probablement.

Que peut-on apprendre d’elle ? Et des blanchisseuses pendant la Commune ? Où chercher ?

On commence par Le Maitron (dictionnaire du mouvement ouvrier) qui nous apporte quelques éléments supplémentaires : elle est née le 4 mai 1846 dans l’Oise à Beauvais. Et c’est en Guyane qu’elle fut déportée, condamnée le 4 septembre 1871 à la peine de mort, peine commuée le 27 novembre en travaux forcé à perpétuité. Il nous apprend aussi que Léontine Suétens a été condamnée le 10 octobre 1867, à Paris, à un an de prison pour vol. On apprend aussi qu’au moment de la Commune, elle est avec un certain Aubert Louis depuis 6 ans, mais qu’ils ne sont pas mariés. Que lui fut sergent-major au 135e bataillon fédéré où elle devient donc vivandière (c’est un synonyme de cantinière, mais il a l’avantage de ne pas réduire le travail des femmes attachées aux bataillons à la cantine) dès les premiers jours de la Commune. Elle est aux combats de Neuilly, Issy, Vanves, Levallois-Perret.

Je regarde les sources. La gazette des tribunaux en fait partie et ça tombe bien, on en trouve des numéros en ligne sur le site de la Bibliothèque National de France.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k68033129/f1.item.zoom

A la lecture, on comprend que Léontine a eu droit à un compte-rendu de son procès à l’intérieur. Or son procès n’est pas qu’un procès, c’est celui des « pétroleuses » . L’article commence par ces phrases : « Après les membres de la Commune et du Comité central, les pétroleuses. Après les chefs, les exécuteurs de leur destin. » Les pétroleuses est le mot utilisé pour désigner des communardes qui auraient utilisé du pétrole pour mettre le feu à Paris.

En l’occurence, elles sont 5 : Elisabeth Rétiffe, Léontine Suétens, Joséphine Marchais, Eulalie Papavoine, Lucie Marie (née Bosquin). Elles ont 5 métiers : cantinière, blanchisseuse, journalière, couturière, lingère. On note ici que de ces métiers, 3 sont affaire de linge.

L’article est méprisant, « femmes de la dernière classe ». Les « filles » – elles sont nommées la fille Suétens ; la femme Bocquin – sont présentées comme des coucheuses, des buveuses et des femmes avides de feu et de sang. A chacune est demandée si elle a usé de pétrole. On lit derrière cette prose le mépris du journal qui reprend le mépris du tribunal. Toutes ont servi le 135e bataillon et/ou celui des « Enfants perdus ». Elles se trouvaient Rue de Lille au début du 21 au 23 mai et sont accusées d’avoir participé aux incendies et « pillages » de plusieurs bâtiments.

Je zieute le livre de l’historien Jacques Rougerie sur Le procès des communards. Elles sont là p. 231 à 233. Rougerie est allé voir les procès-verbaux complets. C’est dans ceux-là qu’est fait mention de la condamnation de Suétens en 1867 mais aussi de son concubinage ancien avec Louis Aubert. Je prends acte à cet instant que je ne sais pas ce qu’est un sergent-major mais aussi que sa postérité à lui est due à elle. Mais ce qui me préoccupe c’est que tous ces éléments ne donnent rien à voir de Léontine comme blanchisseuse et ouvrière.

On peut deviner qu’elle n’était pas très aisée si elle a été condamnée pour vol. Et ce qui est décrit, si on ôte le vernis bourgeois et sexiste, laisse penser qu’elle et ses camarades étaient des ouvrières assez classiques : pas mariée, engagée aux côtés de leur compagnon, vivandière-cantinière dans la garde nationale.

Je regarde chez le journaliste Lissagaray s’il fait mention de ce procès dans son Histoire de la Commune de 1871. Il en dit quelques mots dans son chapitre XXXIV sur les premiers procès.

Tandis que le 3e Conseil de guerre se querellait avec les avocats, le 4e bâclait sans phrases la besogne. Le 16 août, à peine ouvert, il avait déjà prononcé deux condamnations à mort. Si l’un avait Jeffries, l’autre avait Trestaillon, le colonel Boisdenemetz, sanglier rouge, bel esprit à ses heures et correspondant du Figaro. Le 4 septembre, on lui amena des femmes accusées d’avoir incendié la Légion d’honneur. Ce fut le procès des pétroleuses. Les huit mille furies embrigadées qu’avaient annoncées les journaux de l’ordre, se réduisaient à cinq. Les débats prouvèrent que ces prétendues pétroleuses n’étaient que des ambulancières d’un admirable cœur. La citoyenne Rétiffe dit : « J’aurais ramassé aussi bien un soldat de Versailles qu’un garde national. » « Pourquoi, demande-t-on à une autre, êtes-vous restée quand le bataillon se sauvait ? Nous avions des blessés et des mourants », répond-elle simplement. Les témoins à charge déclarèrent qu’ils n’avaient vu aucune des accusées allumer aucun incendie mais leur sort était réglé d’avance. Entre deux audiences, Boisdenemetz criait dans un café : « A mort toutes ces gueuses ! »

Trois avocats sur cinq avaient déserté la barre. « Où sont-ils ? » dit Boisdenemetz. « Ils ont demandé à s’absenter pour aller à la campagne », répondit le commissaire. Le conseil chargea des soldats de défendre les accusées. Le maréchal des logis Bordelais, fit ce beau plaidoyer : « Je m’en rapporte à la sagesse du tribunal. »

Sa cliente Suétens fut condamnée à mort, ainsi que Rétiffe et Marchais, pour avoir tenté de changer la forme du gouvernement » on n’osa pas viser le fait de pétrole ; les deux autres à la déportation et à la réclusion. L’une des condamnées cria au greffier qui lisait la sentence : « Et mon enfant, qui le nourrira ? Ton enfant, le voici ! »

Lissagaray se fait avocat plus qu’historien ici, mais il a remplacé les « filles » et « femmes » par citoyenne. Et c’est déjà beaucoup d’imaginer Léontine en citoyenne. On comprend dans ces lignes que ce procès eut son importance. Il l’a eu pour la presse anti-communarde et pour les communards. C’est un procès exemplaire de la répression, ce furent donc des accusées à défendre pour les communards. Difficile d’imaginer ce qu’a du penser Léontine quand elle a fait partie des 5 choisies parmi les prétendues 8000…

Je retourne voir la photo d’Eugène Appert. Eugène Appert est un photographe qui eut accès à la prison des femmes de Versailles et photographia simplement sans fond les femmes. Il effectuait aussi des photomontages. Il me revient en avoir vu un dans un autre ouvrage.

Le voilà en page 564 de La Commune de 1871. Une relecture.

Léontine est là, assise en bas à droite. Elle a été assise à côté d’Isabelle Rétiffe, elle-même positionnée devant Louise Michel. Louise Michel a-t-elle vraiment rencontré Léontine ?

En tout cas, elle parle de Léontine dans ses mémoires. Elle en parle pour dénoncer, elle aussi, la répression versaillaise au chapitre sur les Prisons de Versailles.

« Plusieurs membres de la Commune et du Comité central étant arrêtés, on pensait généralement que leur jugement aurait lieu ; d’abord il n’en fut rien, le gouvernement voulait préparer les esprits aux condamnations, en faisant comparaitre les premières, non pas les femmes qui eussent hautement revendiqué leurs actes, mais de pauvres femmes dont le seul crime était d’avoir été dévouées ambulancières, ramassant et soignant Parisiens et Versaillais, avec le même empressement ; pour elles, ils étaient des blessés, elles étaient les sœurs de ces souffrants.

Elles étaient quatre : Elisabeth Retif, Joséphine Marchais, Eugénie Suétens, Eulalie Papavoine […].

Jamais elles ne s’étaient vues, avant la nuit qui précéda leur arrestation.

Les fédérés se repliaient sur un autre quartier, elles se rencontrèrent dans une maison, où elles passèrent la nuit ; je ne sais si quelques blessés ne s’y trouvaient pas également.

Vaincues par le sommeil, elles se jetèrent deux par deux, sur un matelas posé à terre et y dormirent à tour de rôle.

C’est pendant cette nuit-là que l’accusation s’obstinait à dire qu’ensemble elles avaient allumé l’incendie. – (Ce qui ne les empêchait pas d’avoir dormi ivres !) Peut-être qu’elles étaient ivres en effet de fatigue et de faim.

Des soldats furent improvisés leurs défenseurs, trois demandèrent à s’absenter pendant le jugement, ce qui leur fut accordé, un sous-officier qui plaidait pour Suétens se contenta de dire : Je m’en rapporte à la sagesse de la cour.

Ces dévouées eurent des paroles justes, mais elles n’osèrent jeter à la face des juges que leur honnêteté, assurant la vérité, qu’elles avaient soigné les blessés sans regarder s’ils appartenaient à l’armée de la Commune, ou à l’armée de Versailles.

Elles furent en conséquence condamnée à mort !

Cela étonna les soldats qu’elles avaient soignés, comme ils s’étaient étonnés que du côté de la Commune, on conduisit les blessés à l’ambulance au lieu de les achever. »

Le texte de Louise Michel est émouvant mais il ne nous apprend rien de Léontine, il ne nous apprend rien de la condition féminine, ni du travail de ses femmes. Elle poursuit le travail entamé par Lissagaray et veut démontrer que les communardes comme les communards étaient des gens bien. De plus, le ton est triste pour parler de celles qu’elle nomme « pauvres femmes » dont elle tient à affirmer qu’elles n’ont fait que leur devoir d’être humain. Je me demande où est passée la 5e dont elle ne parle pas.

On ne saura pas grande chose de plus. Louise Michel parle plus loin de leur départ pour Cayenne en Guyane, et non vers la Nouvelle Calédonie comme elle. Pourquoi d’ailleurs cette différence ? Elle dit que Rétif n’est pas revenue. On peut donc supposer que Léontine l’est… Ou Louise Michel n’en sait peut-être rien.

Léontine est l’exemple d’une communarde sortie de l’anonymat par ce procès incroyable du 4 septembre 1871, n’ayant pas laissé d’écrit, n’ayant pas fait de grandes choses, elle y retourne après la Commune. Pourtant elle est probablement plus proche de la communarde moyenne que Louise Michel.

135e bataillon, Cayenne, corporation des blanchisseuses peut-être, les pistes sont ouvertes pour en savoir plus… A bientôt

2 réponses

  1. Gérard Coste dit :

    Merci pour ce travail de reconstitution de l’itinéraire et du destin entre aperçu de “notre” Léontine (comme on dit “notre” Louise Michel) qui le mérite bien. Il nous la rend plus proche. Eugène Appert est photographe officiel pour l’armée de Versailles (je ne sais plus s’il n’est pas lui même militaire – à vérifier donc) ce qui nous vaut nombre de portraits et de photos de prisonniers (aux chantiers de Versailles ou à Satory). Mauvaise pioche pour eux, ces photos permettent de donner un visage et une humanité à leurs victimes. Depuis, l’infâme armée est devenus la grande muette, elle a sans doute retenu la leçon

  1. 30 mars 2021

    […] qui nous ont accueilli pour qu’on parle de ce moment de l’histoire de France, de la mémoire des blanchisseuses et de la caricature des pétroleuses, nous ont tout dit  […]

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