21 Mai 2020 – Demain dès minuit
Demain dès minuit
par Mymytchell
Moi qui suis née le deuxième jour de la semaine sanglante,
des années plus tard,
demain j’en aurai trente.
Trente ans, serait la cime,
vue de l’un et l’autre du versant
Pourtant me dit-on que ma jeunesse ne me permet pas
de tout comprendre,
que si le travail blesse
c’est qu’il faut mieux l’apprendre
Avez-vous repéré que l’âge de la raison recule ?
Au point de nous laisser peut-être
entre l’âge des envies et l’âge des regrets
juste quelques secondes ?
Pour une communarde, trente ans
c’était inatteignable.
Demain j’aurai trente ans, n’a pas dit Mabanckou
Il a dit vingt, car l’âge prend aussi du recul suivant la densité
d’un coup d’histoire
Demain je serai mort,
n’a pas dit Hugo,
mais dont les obsèques ouvrières rappelleront tous ses mots
Je ne fêterai pas cet anniversaire,
c’est pas grave les ami-e-s
si ce n’est avec vous dans la distanciation sociale
nom qu’on pourrait revoir
Je ne fêterai pas ça, je fêterai autre chose
Je fêterai le vivant en chaque chose
C’est toujours aussi l’anniversaire d’un accouchement,
on l’oublie celui-là
Je fêterai la conquête des âges,
celle qui nous a fait dire que travailler
n’était pas toute notre vie
Je laisserai à mes 29 ans, les terreurs nocturnes
les bêtes humaines et les disjonctions,
je sauterai avec les combats continus
J’aurai 30 ans demain, oui
mais c’est grâce à l’idée de la joie
à l’idée même d’action.
Il n’y a pas de bel âge, il n’y a que la vie.
Moi qui suis née le deuxième jour de la semaine sanglante,
c’est d’elle que je vais dire un mot.
Je n’aurai plus peur de dire de la poésie
qu’on ne financera jamais,
bande d’assassins.
Car vous fédéré-e-s,
votre poésie a la couleur du sang
Vous êtes beaux pour toujours,
vous êtes belles, bon sang.
Vous n’auriez eu trente ans qu’au prix de vains efforts,
de genoux déboîtés et de monstres dans le sang.
Si vous aviez su que la marchandise allait s’étendre à l’air,
l’eau,
la moindre miette de vie,
Mais vous n’aviez même pas besoin du mot
capitalisme
pour vous affronter à lui.
Fêtons l’anniversaire, oui.
Fêtons l’anniversaire des armes à la main,
et du temps gagné
contre le travail de nuit
Fêtons ce qui ne s’éteindra jamais
car l’électricité n’est pas seule
énergie
Fêtons le bonheur d’avoir un jour
depuis le savoir-faire rural
et la folie citadine
su gérer Paris
Et si c’est de la république qu’il s’agit,
il n’y a pas d’âge pour cette hypocrite.
Car pour survivre,
la république ardente,
il y a 149 ans,
a massacré
ce qu’elle appellerait aujourd’hui,
des adolescent-e-s.
Mymytchell
21 mai 2020
Photo : Léa Noilhan, Monts pyrénéens, 21 Mai 2020