On chantait l’internationale le poing en l’air

Par A. Colombani

 

« Prend la parole, t’en meurs d’envie ».

Je suis retombée un peu par hasard sur cette conversation enregistrée en 2016. C’est une réunion d’une association de mémoire Le Chat Sans Queue de la ville de Pierrefitte, petite ville de la banlieue nord de Paris, voisine de la grande ville de Saint-Denis. La thématique, c’est la fête de l’humanité, c’est un peu le bordel, ça mange, ça rigole, ça picole un peu.

Ça débat du cynodrome de La Courneuve, qui les fait dériver sur le vélodrome, le ratodrome… et tout un tas de « -dromes » qui étaient là où se trouve désormais l’actuel Parc des sports de La Courneuve. Un vieux pierrefittois prend la parole : sa première fête de l’humanité, il a 7 ans et il raconte ce dont il se souvient. Son premier souvenir est clair et précis, son père et lui se dirigent hors de la fête, et cherchent la sortie la plus pratique en direction de Pierrefitte. En passant devant la tribune de la fête, son père l’arrête pour écouter le discours. « J’ai aucun souvenir de la dictée du certificat d’étude, alors le discours bon.» Le discours il ne s’en souvient pas, mais par contre, il ressent encore la foule de gens chantant le poing levé l’Internationale. « Tous les gens qui étaient là, on chantait l’internationale avec le poing en l’air. Je me rappelle plus si c’est c’ui de droite ou c’ui gauche, mais ça m’a marqué. »

Quelqu’un enchaîne.

« A propos de l’international, lorsque je travaillais en Union Soviétique. Je posais souvent la question “vous chantez l’international, vous savez qui l’a écrite ? ”, “Oh je sais pas qui, mais c’est sûrement un soviétique. ”».

La salle rigole. Quelqu’un s’écrit : « Ben tiens, il est enterré à Saint-Denis. »

Ça repart sur la fête, c’est Ginette qui parle : « J’ai le même souvenir : le poing en l’air. Moi par contre l’Internationale, je l’avais entendu avant, parce que je l’entendais chez mes parents, mais j’ai le même souvenir. »

Le vieux pierrefittois insiste : « Moi j’avais jamais entendu l’Internationale ».

Ça débat de la présence dans les familles de la chanson.

Beaucoup de brouhaha, avant qu’une belle voix féminine demande :

  • Qui est-ce qui a écrit l’Internationale ?
  • De Geyter

Des De Geyter interrogatifs semblent traversés la pièce. Une voix faible demande : « Eugène Pottier non ? ». « Pottier oui t’as raison. » « Mais C’est De Geyter, qui est enterré à Saint-Denis non ? Y a le square. » « Oui ‘fin y a une rue De Geyter à Pierrefitte aussi… »

Puis ça enchaine sur la pelouse de Reuilly, le stand Pierre-frites, le défilé de Saint-Laurent ou l’exposition Picasso…

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Des souvenirs qui flottent… Aucune volonté de rigueur historique, mais des résonances amusantes.

L’internationale a bien été écrite par Eugène Pottier, le communard. C’est un chant d’espoir écrit après la défaite des Communards et les massacres perpétués par les Versaillais et la Jeune République. Mais Pottier ne publie le poème que très tardivement, vers 1887, dans un de ses recueils.

C’est ainsi que le poème est repéré puis mis en musique par Pierre Degeyter, même si son frère Adolphe a longtemps crié qu’il en était le compositeur (il y eut un procès entre les deux frères). Si Degeyter n’est pas l’auteur des paroles, on lui doit la postérité des paroles par sa mise en musique. Il en est donc quand même un peu l’auteur. L’historien Robert Brécy écrit, assez justement, que « cette musique facile et entrainante de Degeyter a donné aux paroles révolutionnaires du poète une grande force de pénétration ». [ La Chanson de la Commune, p. 247]

Et Pierre Degeyter a bien un lien avec Saint-Denis. Militant ouvrier du nord, il s’est installé à Saint-Denis en 1901, où il est mort en 1932. La municipalité communiste prit en charge son hébergement. Quant à l’URSS, elle lui versa une petite pension comme droits d’auteur pour la chanson que les soviétiques avaient choisi comme hymne. Il lui aurait même été proposé une place en maison de retraite qu’il refusa.

On imagine bien dès lors pourquoi c’est avant tout Degeyter qui vient à l’esprit des Pierrefittois, quand il s’agit de savoir qui a écrit l’Internationale. Et comment grâce à Degeyter, on se remémore la Commune puis Eugène Pottier ou Eugène Pottier puis La Commune. Des liens, quoi, qui dessine une belle histoire de mémoire populaire…

 

Image : Mymytchell, Foule s’apprêtant à lever le poing levé sur la grande scène de la Fête de l’Huma, 2019.

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