La Commune bissée – Le jour de gloire est arrivé
L’équipe de Rue de la Commune travaille et discute depuis de nombreux mois des chansons sous la Commune. Nous avons eu envie de partager durant ces 72 jours nos réflexions, (re)découvertes concernant la musique, la chanson et les communeux et communeuses.
« Le jour de gloire est arrivé ».
Par quoi ouvrir ce 18 mars, si ce n’est avec la Marseillaise ? Interdite sous l’Empire, à chaque événement, les Républicains chantaient ses paroles révolutionnaires. La Marseillaise incarnait la révolution, le refus d’un ordre établi. La chanter était un appel à tout balayer sur son passage pour construire la liberté et l’égalité. La Marseillaise rassemble car elle est à la fois un chant patriotique et un chant révolutionnaire international [Il existe par exemple une adaptation allemande Die Arbeiter-Marseillaise, qui date de la révolution de 1848 – 1849 en Allemagne, dont les paroles furent écrites par le poète Ferdinand Freiligrath.]
Quoi de plus logique, alors, pour l’Empire de Napoléon III puis le Gouvernement de la Défense Nationale (mis en place le 4 septembre) que d’en user pour galvaniser les troupes et montrer qu’ils défendaient la patrie. Jean Allemane, un socialiste originaire d’un des hameaux de Sauveterre-de-Comminges [en Haute-Garonne], pas très loin donc d’où vit actuellement notre compositrice Mymytchell, raconte :
« Au moment où le bataillon s’ébranlait, M. Versigny, mon capitaine de la 4e marche, vint, tout souriant, me prier d’entamer avec lui le Chant du départ ou la Marseillaise.
- En l’honneur de quel saint, lui demandais-je ; serait-ce parce que nous allons travailler pour la réaction ?[1]»
Cette anecdote se déroule en mars 1871. Et déjà, la friction tourne autour de cette question des canons payés par les Parisiens. Ceux-là même qui permettront la bascule le 18 mars sur la butte Montmartre. Le peuple du XVIIIe arrondissement n’entend pas qu’on lui reprenne les canons, alors il monte faire masse pour empêcher qu’on les lui retire.
Dans la nuit du 17 au 18 mars, sur ordre de Thiers, des soldats viennent déplacer les canons de Montmartre, de Belleville et des autres redoutes. Mais à Montmartre, le Peuple ne l’entend pas de cette oreille. C’est bien la Marseillaise qui retentit.
Essayons d’imaginer la force de ce chant et pas seulement le premier couplet, mais bien toute la chanson. Peut-être même avait-on déjà adapté certaines paroles, comme ce sera souvent le cas par la suite. Elle se chante de façon populaire, sûrement criarde, mais l’air est juste. Mymytchell nous a expliqué qu’une foule chante forcément juste.
Essayons d’imaginer et entrons avec ceux qui vont désormais s’appeler les Communeux ce moment chanté autour de la Marseillaise, loin de son devenir académique et étatique.
La Marseillaise
Allons, enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie
L’étendard sanglant est levé, (bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils, vos compagnes !
Refrain :
Aux armes, citoyens,
Formez vos bataillons,
Marchons, marchons !
Qu’un sang impur
Abreuve nos sillons !
Couplet 2
Que veut cette horde d’esclaves,
De traîtres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés ? (bis)
Français, pour nous, ah ! quel outrage !
Quels transports il doit exciter !
C’est nous qu’on ose méditer
De rendre à l’antique esclavage !
Refrain
Quoi ! des cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fiers guerriers ! (bis)
Grand Dieu ! par des mains enchaînées
Nos fronts sous le joug se ploieraient !
De vils despotes deviendraient
Les maîtres de nos destinées !
Refrain
Tremblez, tyrans, et vous, perfides,
L’opprobre de tous les partis,
Tremblez ! vos projets parricides
Vont enfin recevoir leurs prix ! (bis)
Tout est soldat pour vous combattre,
S’ils tombent, nos jeunes héros,
La terre en produit de nouveaux,
Contre vous tout prêts à se battre !
Refrain
Français, en guerriers magnanimes,
Portez ou retenez vos coups !
Épargnez ces tristes victimes,
À regret s’armant contre nous. (bis)
Mais ces despotes sanguinaires,
Mais ces complices de Bouillé,
Tous ces tigres qui, sans pitié,
Déchirent le sein de leur mère !
Refrain
Amour sacré de la Patrie,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs.
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs ! (bis)
Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accents,
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !
Refrain
Il existe un septième de la Marseillaise, ajouté en 1792, dans des conditions et par un auteur qui reste discuté… il est appelé le couplet des enfants.
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre.
Refrain
[1] Jean Allemane, Mémoire d’un communard. Des barricades au bagne, Paris, Librairie socialiste.
L’illustration est une des affiches du film de Jean Renoir, La Marseillaise, de 1938. Juste pour le plaisir.