La tribune des francs-tireurs. Toutes avec tous – La Sociale 12 avril 1871

Un texte d’André Léo à lire en entier ci-dessous.

Dans le même numéro de La Sociale, journal dirigé par André Léo, qui parait pendant la Commune, paraissent deux textes Un appel aux citoyennes de Paris duquel sortira L’union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, et ce texte d’André Léo qui défend la présence des femmes dans les bataillons pour défendre la Commune.

Si on glorifie aujourd’hui les combattantes, le sujet des femmes au combat fut tout sauf une évidence pour les Communards, dont une partie se méfiait des femmes hors du foyer, s’inscrivant dans la suite de ce qui se pensait et se disait dans le mouvement socialiste. Le texte dit simplement les choses : les femmes ont les mêmes passions que les hommes pour la défense de la liberté et la République, et hommes et femmes ont intérêt ensemble à lutter. Elle avance aussi des arguments “pragmatiques” : le besoin de combattants et la nécessité de ne pas laisser les femmes à la réaction.

C’est avec ces éléments en tête que nous avons imaginé la chanson “Nous les femmes”, chantée par Gervaise, qui suit justement un bataillon.

Tribune des francs-tireurs, La Sociale 12 avril.

Toutes avec tous

Pendant le premier siège qu’a soutenu Paris contre un ennemi moins barbare, l’élan de la population pour la défense nationale fut, on le sait, d’une vivacité, d’un enthousiasme, qui donnèrent bien du mal à M. Trochu [qui dirige le gouvernement de la défense nationale]. Les femmes, naturellement, y participèrent comme les hommes, et je reçus de nombre d’entre elles des lettres qui m’exprimaient ardemment leur désir de combattre, l’arme à la main, pour la défense de leur ville et de leur patrie.

Les défenseurs alors ne manquaient pas dans Paris. Il n’y en avait que trop, hélas ! témoin les mobiles. On arrêtait les enrôlements dans la garde nationale et l’on consacrait à tempérer son ardeur toute l’énergie qu’on aurait pu employer à vaincre.

Nul besoin ne se faisait donc sentir d’une légion de femmes et j’engageai mes correspondantes à réserver pour la lutte suprême, pour la bataille des rues, contre l’ennemi, si elle avait lieu, le courage qui les animait.

Malgré tout, parurent bientôt après les affiches vertes faisant appel aux Amazones de la Seine, et les mêmes journaux qui relatèrent à l’occasion l’héroïsme de Jeanne Hachette, criblèrent de traits sarcastiques une telle idée. Elle manquait, en effet, de tact, d’opportunité. A moins du parti pris, il faut reconnaitre que tout grand intérêt excite les mêmes sentiments dans tout cœur humain, et que, à moins d‘être simples phénomènes négatifs, les femmes doivent ressentir forcément en de telles crises les mêmes passions que les hommes.

Bien aveugles les démocrates qui nient ce fait et n’en tiennent pas compte. C’est par les femmes surtout que jusqu’ici la démocratie a été vaincue, et la démocratie ne triomphera qu’avec elles.

Au temps où nous sommes, c’est l’idée plus que la force du bras qui gagne les batailles. Tout être humain à l’instinct de conservation, et ce n’est pas la barbe qui surmonte cet instinct ; mais une passion supérieure.

Or les femmes parisiennes ont à l’heure actuelle cette passion.

Il ne s’agit plus aujourd’hui de la défense nationale ; mais au lieu de se rétrécir, le champ de bataille s’est agrandi. Il s’agit de défense humanitaire, des droits de la liberté.

Maintenant Paris est loin d’avoir trop de combattants ; les plus braves se font journellement décimer dans une lutte inégale, – tandis que certains hésitent encore, – en ce moment où le sort du droit en ce monde est lié au sort de Paris. Maintenant le concours des femmes devient nécessaire. A elles de donner le signal d’un de ces élans sublimes qui emportent toute hésitation et toute résistance. On les sait anxieuses, enthousiastes, ardentes, l’âme attachée aux péripéties du combat, l’œil plus rempli de feu que de larmes, se donner tout entières (les femmes du peuple surtout) à la grande cause de Paris. Qu’elles entrent donc d’action dans la lutte autant qu’elles y sont de cœur.

Beaucoup le désirent et beaucoup le peuvent Louise Michel, Mme de Rochebrune, bien d’autres, ont déjà donné l’exemple, et font l’orgueil et l’admiration de leurs frères d’armes, dont elles doublent l’ardeur. Quand les filles, les femmes, les mères combattront à côté de leur fils, de leurs maris, de leurs pères, Paris n’aura plus la passion de la liberté, il en aura le délire. Et ces soldats, ébranlés déjà que l’on trompe à force de calomnies, seront bien forcés de reconnaitre que ce qu’ils ont en face d’eux n’est pas un parti de factieux, mais un peuple entier, dont la conscience soulevée contre une impression d’ignoble, crie par la voix de ses femmes aussi bien que de ses hommes, mort ou liberté et dont les enfants, nés de parents animés d’un tel amour, grandiraient pour la vengeance.

Toutes les femmes cependant ne peuvent alléger, en la partageant, la tâche des combattants ; mais toutes sauf la jeune qui veille sur ses berceaux, peuvent donner leur concours actif à la lutte héroïque de nos bataillons. Les hommes qui supportent, en [ ?] de la mort, de si grandes fatigues, sont mal nourris et mal secourus. Les soins aux blessés ne sont ni assez prompts, ni assez abondants ; l’alimentation est des plus insuffisantes. J’ai vu, à la porte Maillot, un bataillon qui avait passé trois jours en batailles hors des remparts, ne recevoir pour nourriture que du pain et du lard cru. Il y a là des restaurants ; mais en tout temps et partout, le restaurant, pour la bourse, c’est l’ennemi.

N’est-il pas lamentable que ces braves, dont l’héroïsme excite notre admiration et a droit de notre part à tant de reconnaissance, manquent ainsi du nécessaire à nos portes ? Et en est-il de celles dont le cœur bat, qui ne s’honorât de les servir ?

Non, les femmes sont remplies de bonne volonté, d’ardeur.

La plupart souffrent de leur inaction. L’organisation seule manque.

Que le général Cluseret ouvre donc immédiatement trois registres sous ces titres : Action armée, postes de secours aux blessés, fourneaux ambulants. Les femmes s’inscriront en foule, heureuses d’utiliser la sainte fièvre qui brûle leurs cœurs.

Et le petit historien qui s’attaque à la grande ville sera forcé d’ajouter à ses chapitres d’histoires cet alinéa :

« Il y eut alors dans Paris une telle frénésie pour la liberté, le droit, la justice, que les femmes combattirent avec les hommes, et qu’il se trouva dans cette ville de deux millions d’âmes, assez de force morale et d’énergie pour balancer le reste de la France et vaincre l’effort matériel de deux armées. »

 

André Léo

 

Illustration (Musée Carnavalet) : Femme à l’Hôtel de Ville, 2ème jour de la Commune 1871 par Daniel Vierge

1 réponse

  1. 15 avril 2021

    […] lu avec plaisir ce matin dans votre numéro du jour, l’article de Madame André Léo. Oui la majorité des femmes de paris voudrait prendre part à la lutte. J’ai […]

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