16 avril 1871. Une veuve prend la parole – De Marie Duval aux mères de la place de Mai
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De Marie Duval aux mères de la place de Mai
Le 16 avril parait dans le journal La Sociale (dirigé par André Léo) un échange qui se clôt sur une lettre poignante de la veuve Duval, accusée d’avoir passé un marché avec Vinoy pour récupérer le corps de son mari. La femme se retrouve ainsi montrée du doigt, quand elle est peut-être en fait la brave de cette histoire. En un autre temps, le roi Prima n’avait-il pas supplié Achille de lui rendre le corps de son fils ?
« Une lettre de la citoyenne Duval
Dans notre numéro de vendredi dernier, nous reproduisions, d’après plusieurs journaux, la note suivante :
“La veuve du général Duval n’aurait pu, nous dit-on, obtenir le corps de son mari que sur une lettre de l’archevêque de Paris au général Vinoy. L’archevêque aurait écrit la lettre, à la condition que Mme Duval obtiendrait de la Commune deux laissez-passer pour deux prêtres qu’il voulait envoyer à Versailles.
La Commune se serait empressée de donner les deux sauf-conduits. Mme Duval a vu le général Vinoy, qui lui a rendu son mari. Mais elle a dû s’engager à ne pas le rapporter à Paris et à l’inhumer dans un village des environs.”
Nous recevons à ce sujet de la veuve de notre brave ami Duval, une lettre que nous nous empressons d’insérer. L’histoire aura un jour ou l’autre mission de raconter comment mouraient les généraux de la Commune, fusillés par les généraux de décembre et de Sedan ; elle dira aussi avec quelles fierté les veuves des républicains savent supporter la douleur qui les accable.
“Citoyen rédacteur,
Veuillez rectifier une erreur que vous avez commise dans votre numéro de vendredi 14 avril.
Il est vrai que j’ai été trouver l’archevêque de Paris et que je lui ai demandé une lettre pour Vinoy.Mais Darboy ne m’a point posé de conditions, et je n’en aurais du reste accepté aucune.
Je me sers de M. Darboy parce que c’est un otage et non parce que c’est un prêtre. Mon mari était libre penseur et ce n’est pas aujourd’hui encore moins qu’en tout autre moment, que j’agirais contre sa volonté. Plus que jamais je déteste les prêtres.
De plus je n’ai point vu le général Vinoy ; je le verrais que je n’accepterais aucune de ses conditions.
Je veux ramener mon mari à Paris ; et je croirais insulter à sa mémoire en laissant soupçonner que j’ai obéi un seul instant à ses assassins.
Je compte, citoyens rédacteur, sur votre obligeance pour la rectification que je vous demande.
Mes remerciements à l’avance,
Veuve Duval.” »
Cette lettre est adressée à plusieurs journaux. Celle qui signe désormais La veuve Duval se défend d’accusations – parues sous une forme très factuelle mais on comprend ce qu’elles ont d’accusatoires – concernant une forme de marché qu’elle aurait passé avec le commandant en chef de l’armée de Paris, le Général Vinoy, qui avait participé à la négociation de l’armistice fin janvier aux côtés d’un autre militaire Trochu. Un mmarché pour récupérer le corps de son mari assassiné par les armées de Vinoy. On peut se demander pour quelle raisons les journaux ont inséré cette nouvelle – nous n’avons pas la réponse -, on peut aussi noter que la nouvelle incrimine la veuve et la Commune (qui aurait répondu aux demandes), une façon de dénoncer un favoritisme ? Quoiqu’il en soit, le deuil n’a étonnamment pas joué dans la prise de distance. La veuve Duval répond donc.
Qui est Madame Duval ?
Mme Duval était mariée à Monsieur Duval Emile, un ouvrier fondeur, blanquiste ayant pris la tête des bataillons du XIIIe arrondissement, puis de la sortie contre Versailles du 3 avril. Fait prisonnier, il est lâchement assassiné. Dans Mes Cahiers rouges, Maxime Vuillaume fait raconter à Louis Ledrux, commandant un bataillon du XIVe, la sortie du 3 avril et la mort de Duval. C’est à lire. Mais restons ici sur Mme Duval. Marie Duval, née Huot, mariée à Emile Duval le 16 août 1862 (ils ont environ 20 ans) et devenue mère d’une petite Joséphine. Ils se sont rencontrés Rue de Croulebarbe, une rue miséreuse, où vivaient leur famille respective. Ils déménagent plus tard Rue de la Glacière (au 21). Emile Duval est fils d’une blanchisseuse, Marie est couturière.
De disponible sur elle, il y a des lettres de son mari en date du début de l’insurrection où il demande de lui amener du linge. Blanchisseuse c’est un art, il y a les professionnels (qui en ont fait leur métier) et les amatrices (les femmes de, les mères de…). Grâce à Vuillaume, on apprend que c’est Raoul Rigault – qui dirige la préfecture de police depuis la Commune – qui lui apprend la mort de son mari. Le Conseil de la Commune vota de lui maintenir une pension, le 7 avril, votant en même temps la transformation de la place d’Italie en place Emile Duval. Toujours grâce à Vuillaume, on sait qu’elle est à Paris dans les jours qui précèdent la semaine sanglante, puisqu’il dit qu’elle vient le voir à La Sociale, journal où il collabore.
De sa courte lettre, on sait qu’elle déteste les prêtres, même si elle s’est mariée avec Duval. On sait aussi qu’elle a supporté un militant très impliqué dans les mouvements politiques des années 60, il a été un meneur de la grève de fondeurs, il a connu plusieurs condamnations. On sait qu’elle respecte ce qu’il défendait, peut-être, sans doute, partageait-elle une partie des vues de celui-ci. Sans naïveté, on peut tout de de même se demander ce qui peut produire une telle accusation contre cette veuve. Marie Duval demande à récupérer le corps de son mari, quoi de plus normal ? La mort, on le sait, est entouré de pratiques qui permettent d’y faire face. Voir le mort, avoir le corps en fait partie – du moins dans la culture européenne. Ce besoin est si connu, que dans les dictatures, on cache souvent les corps quand on assassine. On les cache pour deux raisons : parce que cela rend impossible le deuil, et parce que cela laisse un doute sur la mort.
Ce que la guerre fait aux vivants au travers des morts…
Ce doute, Versailles en a usé, puisque Emile Duval fut condamné par contumace en 1873 à la déportation. En effet, son acte de mort n’était pas carré. Ce n’est qu’en 1875 que fut reconnue officiellement sa mort. La Sociale écrit que « L’histoire aura un jour ou l’autre mission de raconter comment mouraient les généraux de la Commune, fusillés par les généraux de décembre et de Sedan ». Est-ce vrai ? A-t-on bien saisi l’ampleur du traitement des morts par Versailles ? Les fosses communes, les corps brûlés dans les casernes, les corps cachés comme ceux de Delescluze ou Varlin pour éviter que leurs tombes ne deviennent des lieux de pèlerinage. Versailles a tout fait pour effacer les combattants au moment même du combat.
Ces pratiques versaillaises ont trouvé des échos tout au long du XXe siècle. C’est un classique, qu’on retrouve dans toutes les guerres barbares civiles ou non par la suite. En France déjà, en Algérie et ailleurs, on a caché des morts. Les mères de la place de Mai en Argentine ont tourné pendant des années car elles voulaient retrouver leur fils, au sens où elles avaient besoin de savoir où étaient les corps et s’ils étaient bien morts. Ces mêmes demandent ont existé au Chili ou en Afrique du Sud et ont été au cœur des commissions Vérité et Réconciliation des années 90. Au Kurdistan, c’est une pratique régulière de l’armée turque pour saper la résistance kurde.
Mais qui peut reprocher aux femmes de vouloir les corps et de trouver les moyens de le faire ? Il existe pourtant une histoire qu’on raconte à tous les enfants, celle de la guerre de Troie. Durant cette guerre, Achille tue Hector et traine son corps autour de la ville. Le roi de Troie, Priam, vient supplier Achille dans sa tente pour récupérer la dépouille de son fils Hector. La mère d’Achille, envoyée par les Dieux, lui ordonne de rendre le corps. La guerre ne saurait justifier un tel traitement (pour un prince tout du moins). Je ne crois pas que Priam ait un jour été considéré comme un lâche. Mais Priam est un roi, la veuve Duval n’est que la femme de… Elle fut pourtant en son temps, une courageuse, une militante des droits humains. Et à sa suite, le furent les familles des partisans de la Commune que Versailles tenta d’effacer de l’humanité. La fierté virile préside à la guerre, mais contrairement à ce que l’on croit, celle-ci a rarement aidé à la victoire… Que la veuve Duval ait répondu et regardé en face les détracteurs est une bonne chose. Tâchons de ne pas l’oublier.