Manifeste des 20 femmes

En écho à nos visites du Xe arrondissement (l’arrondissement où évoluent les personnages du conte), voici en entier le manifeste distribué par 20 femmes lors des réunions publiques de la cité Waux-hall (située Rue de la douane) qui eurent lieu à l’été 1868, quand les réunions publiques furent autorisées. Cette salle du Waux-hall était une immense salle de bal de l’arrondissement qui accueillit de nombreuses réunions entre 1868 et 1871.

 

Publié le 20 Juillet 1868, dans L’opinion Nationale, publiée par André Léo.

 

Manifeste des 20 femmes

Nous donnons ci-dessous la manifeste que nous avons annoncé concernant la revendication des droits de la femme :

Le droit depuis la Révolution a changé de base. En face du prétendu droit divin et de toutes ses délégations, s’est posé le droit humain qui les abolit.

La justice est fondée sur une réalité vivante, indéniable, à la fois complète pour le présent et progressive pour l’avenir : l’individu.

Au milieu des encombrements de l’ordre ancien, perpétué par l’ignorance, du vieil esprit, de faux intérêts et l’influence des vieilles mœurs, les conséquences du droit nouveau se produisent peu à peu dans les esprits et dans les faits.

L’esclave d’Amérique, émancipé par la guerre-civile, devient citoyen.

Les travailleurs ligués pour la revendication de leurs droits, entrevoient déjà le jour où ils arriveront à la répartition équitable des produits, tant intellectuels que matériels, auxquels ils contribuent pour une si large part. Mais la justice ni la paix ne peuvent exister dans le monde tant que la plus grave des iniquités sociales n’aura pas disparu. Cette iniquité, c’est la servitude de la femme, privée par les lois et par la société de la possession du droit individuel. Il est temps qu’à son tour elle revendique sa liberté. Il est temps de reprendre une question laissée en suspens depuis le jour où Condorcet la posa devant l’assemblée constituante, et de la reprendre avec assez de droiture, de persévérance et de fermeté, pour que, jusqu’au jour de la solution, elle ne puisse plus être étouffée.

La femme est-elle un individu ? Un être humain ?

Si elle est un individu – et nous supposons que ses plus bizarres adversaires ne le nieront point, – comment se fait-il qu’elle soit exceptée des conditions reconnues indispensables à la dignité et à la moralité de l’être humain ?

Comment le droit de se posséder soi-même, d’agir en son propre nom, de se développer selon sa force et d’après ses facultés, comment ce droit, qui est la condition même de l’individualité, lui est-il refusé ?

Pourquoi l’obéissance, abdication de la conscience et de la raison, première des immoralités, puisqu’elle peut les entrainer toutes, lui est-elle imposée comme un devoir ?

Pourquoi participant aux charges sociales, dans la mesure commune, est-elle privée de la plupart des avantages sociaux ?

Pourquoi l’oblige-t-on de ses conformer à des lois qu’elle n’a ni faites, ni consenties ?

Pourquoi est-elle exclue du droit, reconnu à tous, de choisir ses mandataires ?

La femme, exclue des écoles scientifiques et normales, est réduite généralement à ne recevoir et à ne professer que l’enseignement élémentaire. Cette exclusion a pour conséquence d’en faire l’instrument d’une éducation funeste, dirigée par les ennemis de la science et du progrès.

La femme subit cette iniquité monstrueuse de voir ses droits de mère anéantis devant le pouvoir du père.

Le droit de propriété de l’épouse est sacrifié à celui du mari.

Le travail de la femme, à valeur égale, est rétribué moitié de celui de l’homme, et souvent même, ce travail au rabais lui étant refusé, il ne lui reste d’autre ressource que le suicide ou la prostitution.

Tenue enfin de toutes parts dans l’incapacité, dans une dépendance immorale, malsaine, injuste, vouée : riche aux corruptions de l’oisiveté, pauvre à celles de la misère, la femme, abaissée et malheureuse, se venge des torts de la société, en étant l’enrayeur le plus tenace du progrès et l’agent le plus actif, bien que le moins responsable, de l’abaissement des mœurs.

Les principes démocratiques que nous invoquons sont invoqués aussi par tous les opprimés.

Nous convions donc tous ceux qui réclament l’équité sociale, tous ceux qui haïssent l’injustice, à soutenir notre cause, qui est la leur, de même que leur cause et la nôtre. Le droit n’a point de catégories ; il est un. Tout parti qui prétend le limiter à sa convenance, se condamne à l’impuissance par l’illogisme. La démocratie n’est pas un parti ; c’est une loi morale, c’est une foi nouvelle.

Avec tous et pour tous, nous réclamons : la Liberté, dans l’ordre religieux, civil, politique et moral ; cette liberté qui n’est pas la licence des mœurs, mais leur sauvegarde ; puisqu’elle seule permet et développe le respect de soi.

Nous réclamons l’égalité. L’égalité devant la loi, égalité que l’ont dit en vain consacrée pour tous, puisque la moitié de l’humanité en est exclue ; l’égalité dans le mariage, comme garantie de moralité, d’union et de bonheur.

L’égalité dans le travail, selon les capacités de chacun, et pour tous les travailleurs, comme pour toutes les travailleuses, la répartition équitable des biens produits par le travail.

Nous réclamons la fraternité, qui doit, au lieu de faux respects mêlés  à l’oppression, devenir la loi générale des rapports entre les hommes et les femmes, en dehors de ceux qui constituent le mariage.

Mues par le sentiment de notre dignité, nous affirmons hautement notre droit à la justice et nous faisons un appel à toutes les femmes et à tous les hommes de cœur et d’intelligence pour qu qu’ils s’unissent à notre revendication et cherchent avec nous les moyens les plus efficaces d’éclairer les esprits sur ce point, et de mettre la femme en possession des droits qui lui appartiennent comme personne humaine. Nous formons une ligue pour une nouvelle déclaration des droits, non plus seulement ceux de l’homme, mais ceux de l’humanité et pour leur réalisation sociale.

 

Ont signé cette déclaration :

Mme Aglaé Bedouch, rue de l’Orme, 25, à Puteaux (Seine)

Mme Rosalie Bellard, rue Saint-Denis, 57, à Puteaux

Mme Agathe Colas, rue Godefroy, 19, à Puteaux

Mme Adelaïde Collet, rue Saint-Denis, 15, à Puteaux

Mlle Marguerite Collin, rue Billanli, 29, Paris

Mme Foucault, rue du Faubourg-du-temple, 54, à Paris

Mme Marie Gagneur, rue Gaillon, 11, à Paris

Mme Gautier, rue du Faubourg-du-Temple, 54, à Paris

Mme Pauline Grimard, boulevard de Neuilly, 160, à Paris

Mme Aglaé Jarry, rue Saint-Denis, 9, à Puteaux

Mme Kneip, rue du Faubourg-du-Temple, 54, à Paris

 

En exergue : photo d’André Léo

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